Le Paquebot Pasteur

Le Pasteur était un luxueux paquebot français destiné aux voyages transatlantiques entre la France et l’Amérique du Sud. Un magnifique timbre-poste a été imprimé pour célébrer cet événement. Cependant, ce navire allait bien vite se retrouver au cœur des enjeux géopolitiques de son époque, lorsqu'il fut réquisitionné par la marine française et utilisé dans des missions de guerre lors de la Seconde Guerre mondiale.


LLe timbre-poste présenté dans cet article raconte une histoire fascinante. Il rend hommage au paquebot Pasteur, baptisé en l'honneur du célèbre scientifique français Louis Pasteur. Ce paquebot de luxe était destiné à assurer les traversées régulières entre Bordeaux et Buenos Aires à partir de septembre 1939.

 

Le navire allait connaître une histoire mouvementée, bien loin des traversées paisibles pour lesquelles il avait été conçu. Son utilisation reste indissociable des grands événements qui ont marqué le XXe siècle.

Le paquebot Pasteur

Le paquebot Pasteur

Cette photo a été modifiée et provient du domaine public.

La construction du Pasteur a commencé le 15 février 1938 aux Chantiers de l'Atlantique, situés à Saint-Nazaire. Ce navire imposant mesurait 212,4 m de long et 26,8 m de large. Avec ses 11 ponts et ses vastes espaces de stockage, il pouvait accueillir jusqu'à 751 passagers.

 

Le Pasteur a réalisé sa croisière inaugurale dans la Manche les 19 et 20 août 1939, avec à son bord 500 passagers. Cet événement, couronné de succès, marquait l'aboutissement d'un projet ambitieux et visionnaire.

 

Le Pasteur devait effectuer son premier voyage en septembre 1939, une traversée très attendue qui promettait de faire de ce navire l’un des paquebots les plus prestigieux de son époque.

 

Pour marquer cet événement, un timbre-poste spécial a été et imprimé en août 1939, avec un tirage dépassant les 3 millions d’exemplaires. Baptisé Paquebot Pasteur, il présentait une illustration du navire lors de sa croisière inaugurale :

Timbre Le Paquebot Pasteur réplique de original août 1939 non émis

Réplique du timbre-poste Paquebot Pasteur imprimé en 1939

Cette image provient du domaine public.

Le terme « Réplique » a été ajouté par Chronique Timbres Poste.

Ce timbre-poste a été conçu et gravé en taille-douce par Albert Decaris, un artiste de renom largement célébré pour ses nombreuses contributions à l'univers de la philatélie. Le Paquebot Pasteur était destiné à affranchir le courrier ordinaire avec une valeur faciale fixée à 70 centimes.

 

L'éclatement de la Seconde Guerre mondiale mit en suspens la première traversée du Pasteur et la mise en circulation de son timbre-poste : le 1er septembre 1939, le Troisième Reich envahit la Pologne ; la France et le Royaume-Uni déclarèrent la guerre à l'Allemagne deux jours plus tard.

 

Réquisitionné par la marine militaire le 4 septembre 1939, aux côtés d’autres navires civils, le Pasteur fut converti en croiseur auxiliaire. Repeint en gris et doté d’une artillerie légère, le navire fut maintenu en réserve pour assurer des missions de soutien.

Le Pasteur en mission pour la Campagne de Norvège

Motivé par le désir de contrôler les ressources stratégiques norvégiennes, le Troisième Reich avait lancé une offensive surprise en Norvège le 9 avril 1940.

 

En avril 1940, le Pasteur fut mobilisé pour transporter une partie du corps expéditionnaire franco-polonais vers les îles Orcades. Ces dernières avaient été choisies comme point de rassemblement stratégique pour les troupes alliées, dans le cadre de la Campagne de Norvège.

 

La traversée du Pasteur vers les îles Orcades fut aussi discrète que possible, le navire devant éviter les zones de combat et les attaques allemandes. Les U-boots sillonnaient les eaux environnantes et représentaient une menace constante pour les convois alliés.

Le Pasteur en route vers Îles Orcades

Le Pasteur en route vers les îles Orcades

Malgré la résistance farouche des forces armées norvégiennes et de la population, les Alliés, confrontés à des divisions stratégiques et à des difficultés logistiques, ne sont pas parvenues à repousser l'invasion.

 

La capitulation de la Norvège en juin 1940 plongea le pays dans les années sombres de l'occupation nazie, marquant le début d'une période de répression qui allait marquer profondément les Norvégiens.

Le Pasteur en mission pour sauver l’or de la Banque de France

Une mission célèbre du Pasteur fut sa participation au transport de l'or de la Banque de France au Canada en juin 1940. C’est M. Lucien Lamoureux, alors ministre des Finances, qui fut l’initiateur de cette opération délicate, alors que l'armée allemande progressait inexorablement vers Paris. Il en donne les détails dans un récit passionnant publié en juin 1962 dans la Revue des Deux Mondes :

 

[…] j’eus le pressentiment que la France allait être envahie et occupée. C’est pourquoi je résolus de mettre rapidement en sécurité, si possible aux États-Unis, tout l’or que la Banque de France possédait en France. À cet or, s’ajoutait celui qui nous avait été confié par la Belgique et par la Pologne, à concurrence de 200 tonnes, pour le premier pays, et de 30 pour le second[1].

 

Lucien Lamoureux raconte que l'or de la Banque de France était conservé dans 51 succursales réparties sur le territoire français. Cet or, pour un poids total de 2168 tonnes, représentait environ 116 milliards de francs de cette époque.

 

Pour son transfert à l'étranger par bateaux, l’or de la Banque de France devait être regroupé dans des ports militaires, où il serait confié à des navires désignés par l'Amirauté française.

 

Cette tâche se révélait complexe : la Banque de France devait mobiliser les moyens nécessaires pour le transport des lingots, tels que des wagons, des camions et des escortes. Des mesures de sécurité étaient impératives pour assurer la sûreté des cargaisons tout au long de leurs trajets.

 

Le premier transport à concurrence de 600 tonnes a été, comme déjà dit, assuré par le porte-avion Béarn et les croiseurs Jeanne d’Arc et Emile Bertin, à concurrence de 200 tonnes par navire. […] Ces trois navires arrivèrent à Halifax le 1er juin. L’or dont ils étaient porteurs fut chargé sur des wagons pour être livré à la Federal Reserve Bank de New York[2].

 

Le second transport fut effectué par le croiseur auxiliaire Pasteur, chargé de 200 tonnes d’or à Brest le 2 juin. Ce bateau nous causa une certaine émotion. Il se trouvait à Saint-Nazaire lorsqu’il reçut l’ordre de rallier Brest. En sortant de la forme-écluse de Saint-Nazaire, il échoua sur un banc de sable. Mais à la marée de midi il put se remettre en eau profonde et gagner Brest. Le Pasteur arriva à Halifax le 7 juin vers 21 heures. Son or fut pris en charge par la Royal Bank of Canada à Ottawa[3].

 

La suite des événements se déroula comme suit, dans un contexte de plus en plus précipité :

 

  • le 3 juin, le croiseur auxiliaire Ville d’Oran quitte le port de Pauillac, près de Bordeaux, avec à son bord 200 tonnes d’or qu’il transporte jusqu’à Casablanca. Le 10 juin, le navire est réacheminé vers New York ;
  • le 5 juin 1940, les Allemands traversent la Seine, ce qui représente un nouveau coup pour la défense française ;
  • le 6 juin, les forces allemandes s’approchent d’Amiens, où les combats sont particulièrement violents ;
  • le 9 juin, l’Emile Bertin, revenu de Halifax, quitte à nouveau Brest chargé de 254 tonnes d’or et reprend le chemin de Halifax.

 

Le 10 juin 1940, le gouvernement français estime ne plus pouvoir résister ; une nouvelle pression s’ajoute avec la déclaration de guerre de l’Italie fasciste à la France. Le gouvernement français quitte Paris et se réfugie à Bordeaux. Les routes sont prises d’assaut par des milliers de Parisiens fuyant la capitale.

Paris en fuite devant avancée allemande 1940

La population parisienne en fuite en juin 1940

Compte tenu de l’urgence de la situation, les autorités françaises décidèrent de diriger les prochains navires vers Casablanca, où ils seraient réacheminés vers une autre destination :

 

  • le 14 juin 1940, Paris tombe aux mains des troupes allemandes. Déclarée « ville ouverte », la capitale française est désormais occupée ;
  • le 18 juin, cinq croiseurs auxiliaires quittent les ports de Brest et de Lorient, transportant un total de 900 tonnes d’or à destination de Casablanca. Ces chargements furent réacheminés le 24 juin à Dakar, au Sénégal ;
  • le 19 juin, le croiseur auxiliaire Victor Schoelcher se dirige vers Casablanca, chargé des 230 tonnes d’or appartenant aux réserves belges et polonaises. Ce chargement fut également réacheminé le 24 juin à Dakar ;
  • le 23 juin, le croiseur Primauguet quitte le port de Verdon chargé de 200 caisses d’or de la Banque Nationale Suisse. Cet or fut déposé à la Banque d’État à Casablanca.

 

Dans cette course contre la montre, le Pasteur avait contribué à sauver une part non négligeable du trésor national français.

 

Le 22 juin 1940, la signature de l’armistice mit fin à la bataille de France. Cette signature entraîna la dissolution de la Troisième République et la France fut divisée en deux : une zone occupée au nord et une zone libre au sud.

 

La zone occupée au nord comprenait les régions les plus industrialisées de la France, ainsi que les côtes de la Manche et de la mer du Nord. Le Troisième Reich mit en place un régime d'occupation militaire strict, avec des restrictions importantes sur les libertés individuelles.

 

La zone libre au sud était théoriquement soumise à un gouvernement français dirigé par le maréchal Pétain, qui avait établi son siège à Vichy. Les Allemands exerçaient cependant une forte pression sur ce régime, faisant de la zone libre un « État satellite » de l'Allemagne.

 

Le 9 août 1940, le Pasteur a été saisi par la marine britannique afin de renforcer les moyens de la France libre et de priver les Allemands d'un nouvel outil de transport maritime. Intégré à la flotte de la Royal Navy, il fut mis à la disposition de la compagnie Cunard pour être utilisé comme navire de transport de troupes.

Le Pasteur, rebaptisé His Majesty's Troopship

Le Pasteur, rebaptisé His Majesty's Troopship

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Sous le nom de His Majesty's Troopship, le navire entama une nouvelle mission de son histoire : assurer le transport des forces armées vers les zones de combat et rapatrier les soldats en permission, les blessés et les prisonniers.


Le timbre-poste monochrome Le Paquebot Pasteur

Le 17 mai 1941, alors que la France était sous occupation allemande depuis 11 mois, le timbre-poste Paquebot Pasteur, créé par Albert Decaris en 1939, fut mis en circulation avec une surcharge en rouge : la nouvelle valeur d'affranchissement de ce timbre-poste était de 1 franc, auquel s’ajoutait une surtaxe de 1 franc liée aux œuvres de mer.

Timbre Le Paquebot Pasteur France 17 mai 1941 avec surcharge

La gravure du timbre-poste a été réalisée de manière à donner une perspective en profondeur qui renforce l'illusion que le bateau navigue en haute mer. Cette illusion est accentuée par l'utilisation des lignes fines et des effets d’ombres qui renforcent le réalisme de l'image.

 

Les nuances mettent en valeur les détails minutieux du navire, tels que les structures du pont, les cheminées, les mâts et les hublots. Les courbes du paquebot sont clairement définies et la texture des vagues et des nuages en arrière-plan est réalisée avec des tracés fins, créant un effet de mouvement.

Détail timbre Le Paquebot Pasteur  France 17 mai 1941

Un voilier apparaît près du paquebot, ajoutant une touche de contraste entre l'imposant navire moderne et le petit voilier traditionnel. Ce détail est utilisé pour souligner la grandeur du paquebot, mettant en évidence sa taille impressionnante par rapport à l'embarcation modeste.

Détail timbre Le Paquebot Pasteur  France 17 mai 1941

La disposition de la couleur bleu foncé crée un équilibre entre l'illustration du paquebot et les éléments de l’environnement, tout en apportant une dimension intemporelle à l'ensemble.

 

Le bleu foncé est une couleur souvent utilisée dans l'art et l'impression pour symboliser la stabilité, le sérieux et l'immensité, ce qui est tout à fait en accord avec le message que ce timbre-poste veut véhiculer : la grandeur et l'importance du paquebot Pasteur dans l'histoire maritime française.


Bien qu'initialement conçu comme un hommage à un navire de ligne prestigieux, le Paquebot Pasteur s'est vu confier un rôle historique inattendu : la Seconde Guerre mondiale a transformé ce timbre-poste en un témoin silencieux des événements qui ont bouleversé le monde.

 

Le Pasteur, de luxueux transatlantique, est devenu un acteur de la défense alliée ; son image, figée sur un timbre-poste témoigne de cette métamorphose.

R. Simard


Références

[1] LAMOUREUX, Lucien, « Le sauvetage de l’or en 1940 », Revue des Deux-Mondes, juin 1962, p. 348.

[2] LAMOUREUX, Lucien, « Le sauvetage de l’or en 1940 » … p. 352.

[3] LAMOUREUX, Lucien, « Le sauvetage de l’or en 1940 » … p. 352.


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